Rapport Auclaire intégral (source CNC)


samedi 7 février 2009

C • I • Education à l'image et culture cinématographique

Extrait du rapport "Par ailleurs, le cinéma est un divertissement...
propositions pour le soutien à l’action culturelle dans le domaine du cinéma"
| Alain Auclaire Novembre 2008 |


La plupart des documents du ministère de la culture et de la communication n'évoquent pas directement le cinéma en tant que discipline artistique autonome. Ils se réfèrent à la nécessité de l'éducation à l'image, dont les dispositifs existants apparaissent comme un simple support. Il en est ainsi par exemple de documents tels que celui intitulé « lan national d'éducation artistique élaboré par la Délégation au développement du ministère de la culture. Il ne s'agit pas ici d'entrer dans le débat théorique toujours vivace entre les tenants de l'éducation au langage des images, en particulier celles de la télévision ou des jeux vidéo, et ceux de la sensibilisation à la culture cinématographique vue à travers l'analyse des œuvres et des cinéastes. Il appartient aux chercheurs, aux critiques et aux enseignants de poursuivre cette réflexion, et de la traduire en termes de méthodes et d'outils pédagogiques. Mais si les approches de la transmission de la culture cinématographique aux enfants demeurent en débat, il semble bien qu'il y ait consensus pour estimer que l'objet premier des dispositifs d'éducation au cinéma est bien l'art du film et non l'initiation au langage de l'image ou à l'audiovisuel en général.

Cela n'empêche pas de penser que le cinéma demeure l'un des meilleurs, voire le meilleur, des supports d'éducation à l'image. Mais il doit d'abord être vu comme un moyen d'expression et de connaissance autonome, et non comme un support pédagogique permettant d'aborder en classe d'autres disciplines artistiques ou d'autres matières du programme. Que l'on ait vu un film en classe ou hors de la classe pour accompagner un thème historique ou une adaptation littéraire ne suffit pas à entraîner les élèves vers l'acquisition d'une culture cinématographique et encore moins vers la compréhension des modes d'expression du cinéma. Par ailleurs, les adolescents mais aussi beaucoup d'enfants dès l'école primaire, sont aujourd'hui bien mieux avertis que les générations précédentes sur les techniques de l'image et du son. Ils disposent pour cela du portable, véritable « couteau suisse » de l'époque contemporaine. Celui-ci permet de capter, d'enregistrer et de transmettre instantanément à leur entourage des images de toutes natures, les plus « utilitaires », les plus festives, les plus vulgaires, voire les plus agressives. On a déjà pu voir dans quelques faits divers les effets traumatiques de la tentation voyeuriste offerte par les instruments de poche, qui font de l'image une matière apparemment intime et confidentielle, alors qu’elle est indéfiniment reproductible. Les images, captées furtivement par provocation ou amusement, peuvent produire un effet profond et durable, même si elles sont prises et montrées avec des intentions innocentes. Comme les mots, elles véhiculent les bons sentiments et les pires, la fraternité et la violence, la réflexion et la déraison. On est tenté à cet égard de renvoyer au célèbre article de Jacques Rivette, paru en 1961 dans les «Cahiers du cinéma», dans lequel Rivette énonçait à propos d'un plan indigne du film «Kapo» ce qui est devenu une sorte d'axiome : «…le travelling est une affaire de morale»... Cette affirmation est plus que jamais d'actualité.

Il y a donc urgence à montrer «du cinéma», à le faire aimer et comprendre, non seulement en donnant à voir des œuvres choisies pour leur valeur artistique ou leur portée philosophique, mais aussi en faisant découvrir la facture et le sens d'une lumière, d'un plan, d'un cadre, d'un effet, d'un montage, aussi bien que d'un jeu d'acteur ou de la conduite d'un récit. Tout cela ne peut que favoriser par ailleurs le recours au film comme support de décryptage des toutes les autres sortes d'images animées, à l'instar de ce qui est pratiqué de tous temps lorsqu'il s'agit d'analyser des textes littéraires. Qui plus est, la baisse des coûts et la facilité d’emploi des machines de captation et de traitement de l'image offrent des possibilités jusqu'alors inaccessibles. Ainsi est-il désormais aisé d'organiser des ateliers de création et d'analyse avec les enfants participant aux dispositifs, à partir de leurs propres images, mises en perspective avec les films qui leur sont montrés.