Rapport Auclaire intégral (source CNC)


vendredi 6 février 2009

C.IV • 1 • La question du doublement des élèves concernés par les dispositifs

Extrait du rapport "Par ailleurs, le cinéma est un divertissement...
propositions pour le soutien à l’action culturelle dans le domaine du cinéma"
| Alain Auclaire Novembre 2008 |

À partir de ces éléments d'évaluation, il faut s'interroger sur la capacité des dispositifs, dans leur mode de fonctionnement actuel, à atteindre les objectifs énoncés par la ministre de la culture et de la communication.



Proposition n°11 : Fixer un objectif d'accroissement du nombre d'élèves participant aux opérations d'éducation au cinéma de 20% par an pendant les cinq prochaines années, afin de le doubler en cinq ans pour le porter à environ 2,5 millions d'élèves pour l'année scolaire 2012/2013.


La faisabilité de l'objectif de doublement

Il convient de rappeler à cet égard les déclarations de Mme la Ministre de la culture et de la communication devant les professionnels du cinéma lors du dernier Festival de Cannes : « Un de nos grands paris doit être aussi de renouveler le public du cinéma, d’y attirer les jeunes, ce qui est un enjeu majeur pour l’entretien de la cinéphilie. Avec tous les partenaires concernés : éducation nationale, collectivités territoriales, associations, je veux doubler à l’horizon 2009-2010 le nombre d’élèves concernés par les programmes École, Collège, Lycée au cinéma ».

Cet objectif doit être mis en regard de l'évolution passée des trois dispositifs :

- De l'année scolaire 1994/1995 à 2006/2007, «École et cinéma» a réussi toucher près de 550.000 enfants, soit un peu plus de 8% des élèves du primaire dans 11% des quelques 55.000 écoles existantes.

- En 20 ans d'existence, «Collège au cinéma» est parvenu à atteindre un peu plus de 500.000 élèves du collège sur 3.142.000, soit 16% des effectifs.

- Enfin «Lycéens et apprentis au cinéma» a mobilisé en dix ans 227.000 des 3 millions d'élèves des établissements concernés.

Au premier abord, on pourrait considérer que ces chiffres peuvent aisément et rapidement être améliorés. Lors des meilleures années les effectifs atteints ont parfois enregistré des progressions proches de 20% par an, mais en moyenne l'accroissement est plus proche de 10%. Ce pourcentage paraît d'ailleurs déjà élevé si on le compare à bien d'autres activités : peu de secteurs peuvent se targuer d'une telle progression pendant dix ans ! Lorsque l'accroissement a été plus rapide, les problèmes matériels se sont avérés difficiles à résoudre, ce qui a incité les responsables à modérer le pas, notamment pour ne pas dégrader la qualité du service rendu.

De plus, la totalité de l'activité en cause dépend des médiateurs culturels que sont les enseignants, les animateurs des coordinations et les intervenants artistiques, enfin les exploitants et collaborateurs des salles de cinéma. Il est donc nécessaire d'en augmenter sensiblement le nombre. Et même si on peut considérer que le doublement des élèves ne nécessiterait pas le doublement des animateurs, ni des salles, une mobilisation massive des enseignants sera quant à elle nécessaire.

Or celle-ci n'est pas acquise, elle doit faire l'objet d'une véritable campagne de sensibilisation et de motivation. On a précédemment noté à cet égard que les actions de formation, soit ne sont pas organisées autant qu'il le faudrait, soit ne sont pas suivies autant qu'il serait souhaitable par les enseignants auxquels elles sont destinées. Même lorsque les enseignants sont volontaires ou intéressés, d'autres facteurs s'exercent au sein des établissements qui ne sont pas toujours favorables au cinéma.

Le premier est la concurrence interne entre activités de complément : chaque établissement conserve le choix de ses activités de caractère complémentaire, dans des domaines avalisés par l'administration de l'éducation nationale, et aussi dignes d'intérêt que l'éducation artistique ou le cinéma du point de vue de la formation des jeunes. À titre d'exemple, et pour les seules activités artistiques susceptibles d'être organisées dans les enseignements élémentaires et secondaires, une circulaire parue au Bulletin Officiel de l'éducation nationale du 8 mai 2008 recense 23 dispositifs, dont les trois sur le cinéma. Au total il existe plus de 100 activités possibles dans d'autres disciplines, aussi légitimes que les thèmes portant sur l'art et la culture. L'un des effets en est que certains établissements alternent les activités et peuvent après deux ou trois ans consacrés au cinéma se tourner vers une autre activité. La seule manière de surmonter cet obstacle est de convaincre les établissements de la pertinence de l'éducation au cinéma et de la qualité des activités proposées.

Un deuxième facteur est la disponibilité d'enseignants convenablement formés pour transmettre les éléments de la culture cinématographique comme les dispositifs en ont l'ambition. Ceci suppose non seulement d’organiser un nombre beaucoup plus important de sessions de formation, mais aussi de ménager les conditions favorisant la présence effective des intéressés : inscription dans les plans de formation académique, libération du temps nécessaire aux participants sans obligation de récupération, prise en charge des frais de déplacement.

Enfin, on ne saurait négliger un autre facteur d'inertie qui est celui de l'année scolaire. Les dispositifs pour l'année scolaire 2008/2009 sont évidemment prêts, au moins en ce qui concerne les données de base, information des établissements et des enseignants, disponibilité des copies et des documents pédagogiques. Chaque année scolaire se prépare six mois avant la rentrée : cela signifierait que dès le printemps 2009, les opérateurs seraient en mesure de mobiliser deux fois plus d'animateurs et d'enseignants qu'ils ne l'ont fait l'année passée, soit un taux d'accroissement qui n'a jamais été constaté jusqu'à présent.

Sans allonger cette liste d'obstacles, il paraît donc très aléatoire d'espérer que le doublement des effectifs d'élèves participant à l'éducation au cinéma soit atteint pour la rentrée 2010. Si cet objectif est en soi louable, il paraît plus réaliste de se fixer d'abord celui du doublement du taux d'accroissement annuel d'élèves. Si ce taux pouvait être porté à 20% en moyenne annuelle, on parviendrait au doublement de l'effectif global en cinq ans, soit pour l'année scolaire 2012/2013.



Les dispositifs actuels peuvent ils atteindre les objectifs des pouvoirs publics ?

Les structures actuelles de l’éducation au cinéma sont caractérisées par leur foisonnement. Celui-ci est-il facteur de développement, ou peut-il au contraire devenir un facteur d'inertie et de freinage en raison de la multiplication des intervenants et de l'alourdissement des processus qui en résulte ?

La réponse doit être nuancée, car les résultats obtenus sont d'ores et déjà considérables. Mais certains responsables de structures peuvent aussi être tentés de retenir le développement spontané pour ne pas diluer leur action dans une simple promotion du cinéma. Cette attitude est cohérente avec la nature même de l'engagement de ces intervenants.

En effet, les systèmes actuels se sont construits d'abord sur une base militante : animateurs de ciné-clubs et de salles de cinéma Art & Essai, médiateurs culturels, formateurs, universitaires, membres des cinémathèques... Ils ont donc dans leur majorité construit leur projet pédagogique à partir d'une conception exigeante de l'œuvre cinématographique et d'une méfiance, parfois discrète mais parfois affichée, à l'égard du cinéma commercial. Or, que ce soit par respect de cet engagement ou par souci d'efficacité, il ne paraît pas souhaitable de pousser à une reconversion forcée des structures existantes qui ne pourrait que nuire à la mobilisation de ceux qui sont déjà à l'œuvre.

Bien au contraire, il convient de soutenir les structures actuelles en misant sur un climat de confiance rétabli, et sur le savoir-faire professionnel qu'elles ont acquis, sans leur demander une mutation de leur mode d'activité où la réalisation d’un objectif purement quantitatif se ferait au détriment de la qualité des contenus. Non seulement ceci pourrait être interprété comme une intrusion injustifiée dans leur fonctionnement, mais cela n'offrirait aucune assurance d'atteindre le résultat recherché.

Mais comme il apparaît, à l'examen des bilans, une assez grande disparité de la couverture des territoires, il est bien de la responsabilité de l'État, surtout en matière éducative, d'assurer l'égal accès de tous aux savoirs, ce qui vaut pour la connaissance artistique comme pour toute autre. Il lui incombe donc d'étendre son action vers de nouveaux partenaires, en complément des systèmes existants. Certes l'ouverture vers de nouveaux opérateurs suscite des appréhensions, parfois même des refus. On a vu ainsi certains intervenants déjà en place s'opposer à l'arrivée de nouveaux entrants. Appelé à intervenir dans quelques cas de confrontation locale, le Médiateur du cinéma a été conduit à formuler un avis qui peut servir de guide en la matière. En tout état de cause il paraît à la fois souhaitable et possible de favoriser l'entrée de nouveaux acteurs.

En outre si l'établissement des listes de films sélectionnés peut sembler par trop cantonné dans une vision cinéphilique, qui trouve de moins en moins d'écho chez les enseignants, l’extension de ces listes ne ferait que relancer des débats de spécialistes sans aucun profit pour le développement de l'éducation au cinéma.

Enfin, si tous les témoignages concordent pour souligner l'importance des outils pédagogiques, ainsi que la qualité des documents rédigés et édités spécialement pour les dispositifs, il n'en reste pas moins que cette production paraît lourde et coûteuse. On peut se demander s'il ne pourrait être fait appel à d’autres outils, notamment comme on le verra plus loin à des ouvrages ou des documents existant déjà en grand nombre.