Extrait du rapport "Par ailleurs, le cinéma est un divertissement...
propositions pour le soutien à l’action culturelle dans le domaine du cinéma"
| Alain Auclaire Novembre 2008 |
Proposition n°1 : Organiser une manifestation nationale de promotion collective de la culture cinématographique, sur la base d'un partenariat technique et financier entre les professionnels et le CNC.
La fréquentation totale est marquée par des variations différenciées selon la nature des films.
Au cours des dix dernières années, elle s'est montée en moyenne annuelle à 177,2 millions d'entrées, avec un point bas de 153,6 en 1999 et un point haut de 195,5 en 2004. À noter que le chiffre enregistré en 1978 était de 177,8 millions et que le marché s'est maintenu dans la fourchette 150/200 millions d'entrées au cours de trente dernières années, à l'exception des années de crise de 1987 à 1997. Mais ces importantes variations annuelles peuvent affecter différemment les films qui sont en tête du classement et les autres, comme le montre le tableau suivant :
On voit que le total des entrées des films figurant dans les 100 meilleurs résultats annuels, qui représentent environ 20 % des films distribués chaque année, est déterminant pour le niveau global du marché. En revanche, le résultat des «autres films» est relativement décorrélé du résultat d'ensemble. Alors que dans les bonnes années leurs entrées augmentent moins en pourcentage que celles des films du «Top 100», il arrive au contraire qu’elles montent alors que le résultat d'ensemble baisse. On peut prudemment en déduire que les quelque 80 % de films en cause, parmi lesquels figurent un grand nombre de films «d'auteur», des films de cinématographies étrangères, et des films de répertoire, à côté bien sûr des habituelles sorties techniques... et des échecs commerciaux, voient leur sort public se jouer en dehors des routines publicitaires et autres plans média. Pour la plupart de ces films, l'attachement du public à la séance de cinéma demeure un enjeu fondamental.
L'analyse des résultats publiés chaque année par le «Film Français» Source: Le film Français - Supplément au n°3245/46 - 1er février 2008 met en évidence l’extrême disparité du rapport des films à leur public.
Les derniers chiffres publiés en février 2008 fournissent des indications sur la répartition du marché de la distribution entre l'ensemble des films en exploitation entre le 27 décembre 2006 et le 25 décembre 2007, y compris ceux qui sont encore programmés bien que sortis avant le début de cette période. L'examen de ces résultats donne lieu au constat suivant :
- La liste comprend pour cette année 656 films, dont les résultats vont de 7,7 millions entrées environ à quelques dizaines de spectateurs.
- Environ 80 % des entrées ont été réalisées par un quart des films, ceux qui obtiennent plus de 200.000 entrées.
- À l'opposé, 313 films (soit 47 % du nombre total de sorties) ont réalisé moins de 20.000 entrées France, dont 83 sont des reprises de films du catalogue et 84 des films classés comme films français. Ils ont réalisé ensemble environ 1.700.000 entrées, soit de l'ordre de 1 % du marché global !
- Comme on peut s'y attendre, presque tous ces films sont sortis sur moins de dix salles Paris-périphérie, et le plus souvent dans une ou deux salles seulement. Il s'agit de sorties essentiellement parisiennes, le nombre de copies diffusées en province demeurant très faible pour cette catégorie. Un grand nombre de ces films ont bénéficié d'une reconnaissance de la critique et des professionnels et la plupart ont connu une diffusion à l'étranger.
Au-delà des disparités traditionnelles du marché du cinéma en salles, il faut souligner ici la menace qui pèse sur la diversité du cinéma : sauf exception ces résultats ne permettent pas d'assurer le simple amortissement des frais de sortie. Les distributeurs concernés voient la poursuite de leur activité subordonnée au «crédit fournisseurs», aux aides à la distribution du CNC ou à des recettes venues d'autres marchés, ventes TV ou DVD. Par ailleurs hors des marchés traditionnels, bon nombre de ces films ont pu trouver dans des festivals ou sous d'autres formes de diffusion une réelle visibilité, voire quelques résultats financiers.
La structure du secteur de l'exploitation.
L'équipement cinématographique du pays a été profondément transformé par la création des multiplexes. Ceux-ci représentent moins de 7 % des établissements cinématographiques et moins d'un tiers des écrans en activité, mais ils réalisent largement plus de la moitié des entrées et des recettes constatées sur le territoire métropolitain. Les quelques 150 multiplexes en activité ont sans doute permis de relancer la fréquentation en salle, mais ces résultats n'ont été obtenus que grâce à une révision complète des méthodes de gestion et de programmation. Les exigences d'exploitation de ces grands sites sont en effet très contraignantes. La logique de l'optimisation du coefficient de remplissage des salles pousse à une rotation rapide des films. Leurs opérateurs sont en position d’obtenir des distributeurs les films susceptibles d'offrir les meilleures recettes. Enfin, les multiplexes sont conçus pour favoriser une stimulation intensive du public et l'inciter à choisir les films autant par impulsion que par choix délibéré.
Il faut toutefois observer que les multiplexes ont leurs limites. Même lorsqu'ils disposent d'un grand nombre d'écrans et qu'ils programment des «films d'auteur», et ce sur une durée minimale de deux semaines, ils ne peuvent guère présenter plus de 200 à 250 films par an, soit à peine plus d'un tiers des titres mis sur le marché. Dans ces conditions l'accès aux multiplexes demeure physiquement à peu près impossible pour les films les plus fragiles, et ne demeure ouvert que pour des films dits «Art et essai grand public». Le maintien d'un ensemble de lieux de cinéma à la programmation diversifiée et convenablement répartis sur l'ensemble du territoire est donc un enjeu majeur pour la diffusion de la culture cinématographique.
La faiblesse des investissements dans la distribution «culturelle».
Ainsi que le montre l'étude sur les coûts de distribution des films français publiée par le CNC en mars 2008, la tendance est à l'accroissement du montant total des investissements des distributeurs au fil des années. Cette tendance s'exprime notamment à travers l'augmentation continue du nombre de copies par film ainsi que par l'augmentation des investissements publicitaires, et ce quelles que soient les catégories.
Par ailleurs, il va de soi que le coût d'une entrée en termes de frais de distribution est très élevé pour les films réalisant un faible score, et rapidement décroissant avec l'amélioration des chiffres d'entrées. Lorsqu'il s'agit de sorties visant avant tout un succès commercial rapide, ce phénomène est logique et parfaitement admis ; il correspond à la sanction du succès ou de l'échec. Mais pour le plus grand nombre des films, le pronostic est prudent ou incertain, et le distributeur ne peut faire face à des pertes importantes ou répétitives. Il en résulte que les distributeurs de ces films doivent rechercher les formules de promotion les moins onéreuses, notamment en ce qui concerne la publicité, et privilégier des solutions de nature à favoriser le contact direct avec le public.
Enfin on invoquera un dernier élément, qui porte sur les opérations de promotion de la fréquentation cinématographique.
L'année cinématographique est ponctuée tout au long de l'année par des opérations de promotion de la fréquentation en salle. La plus ancienne est la «Fête du cinéma» fin juin, qui a été suivie d'autres initiatives moins spectaculaires mais échelonnées environ chaque trimestre. Ces opérations sont organisées sous l'égide des organisations professionnelles, et particulièrement de la Fédération nationale des cinémas français. Elles ont pour points communs d'offrir un avantage tarifaire, et de ne faire aucune distinction entre les films. Il en résulte qu'elles profitent surtout aux titres qui bénéficient du plus grand nombre de copies et qui occupent les premières positions du box-office. La diffusion culturelle ne peut s'appuyer que sur des opérations particulières limitées à un genre ou une cinématographie. Seule l'AFCAE organise en partenariat avec le magazine Télérama une manifestation à vocation nationale de promotion de l'art et essai, malheureusement avec des moyens modestes.
Au terme de cette analyse sommaire, on retiendra cinq constats :
a) La diffusion culturelle des films ne suit pas les tendances globales du marché, que ce soit de manière négative ou positive.
b) Au sein du marché global elle représente un très petit segment en nombre d'entrées mais une large majorité des films présentés au public.
c) Elle ne peut être présente dans les multiplexes et dépend d'autres lieux de diffusion, notamment le parc des salles indépendantes et à vocation art et essai.
d) L'exploitation traditionnelle en salles n'assure pas l'équilibre économique de ce secteur qui doit trouver d'autres moyens pour élargir son public et améliorer son économie.
e) La diffusion culturelle du cinéma souffre d'une visibilité insuffisante du fait de la faiblesse des investissements nationaux et locaux engagés pour sa promotion.
Si rien n'est fait pour remédier à cette situation, on risque d'assister à une aggravation des conditions de la diffusion culturelle, non sous la pression de la programmation dominante, mais en raison de l'abstention du public. Celui-ci est en effet soumis à une saturation médiatique en faveur des nouveaux services de communication, et privé d’une information suffisante sur la création cinématographique. La communication et la promotion ne sont sans doute que des éléments seconds par rapport à la réalité des œuvres, mais elles sont indispensables pour assurer la visibilité nécessaire aux films de nouveaux auteurs ou aux films venus «d'ailleurs». La presse écrite joue d’une manière générale son rôle en consacrant une place appréciable au cinéma, au moins pour ce qui est des quotidiens nationaux et des magazines. Mais on constate que cette couverture est pour une bonne part événementielle et focalisée le plus souvent sur les sorties les plus spectaculaires ; au demeurant son impact sur la fréquentation demeure limité. Quant à la télévision, la place qu’elle accorde à la promotion des films semble s’être plutôt réduite. Les chaînes favorisent comme il est logique les films dans lesquels elles ont investi. Les émissions à vocation «cinéphilique» ont pratiquement disparu. Il est donc très souhaitable que les réformes en préparation donnent la possibilité d’inciter au moins les chaînes publiques à réévaluer la place qu’elles réservent à la culture cinématographique dans leurs grilles de programmes. Certes l’information sur les films est largement accessible sur les multiples sites internet existants. Mais elle ne répond qu’à la curiosité de ceux qui sont déjà motivés.
Afin de mobiliser les médias et le public, une initiative volontariste et partagée entre les professionnels et les pouvoirs publics semble donc nécessaire. C'est pourquoi il est suggéré que le ministère et le CNC mobilisent les représentants des différentes branches professionnelles, des auteurs et des techniciens de cinéma autour d'une manifestation exclusivement consacrée à la diffusion de la culture cinématographique. L’enjeu est d’obtenir l’attention et la reconnaissance des médias, d’attiser la curiosité du public, de générer une relation nouvelle de proximité entre le public et les artistes. Cette manifestation pourrait imiter les opérations existantes en matière tarifaire, mais devrait surtout focaliser l'attention sur des programmations exceptionnelles, sur la découverte ou la redécouverte de films ou d'auteurs méconnus ou oubliés, sur des explorations plus fines de certains genres ou certaines formes du cinéma. Ainsi pourrait-on imaginer une semaine de découverte dans les multiplexes, des séances «surprise» dans les cinémas d'art et d'essai, des parcours cinématographiques avec des artistes ou des techniciens de cinéma. L'opération pourrait également donner lieu à un concours national axé sur des aspects de la connaissance du cinéma ; elle pourrait également faire une large place au jugement du public. Elle pourrait enfin être rapprochée d’un événement ou d’une date qui donne lieu à une couverture médiatique significative, par exemple la période précédant les sélections aux manifestations cannoises.