Rapport Auclaire intégral (source CNC)


jeudi 5 mars 2009

Introduction

Extrait du rapport "Par ailleurs, le cinéma est un divertissement...
propositions pour le soutien à l’action culturelle dans le domaine du cinéma"
| Alain Auclaire Novembre 2008
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« Mesdames, Messieurs, Veuillez gagner vos places, la séance commence ». Cette injonction prononcée d’une voix douce mais impérative est bientôt suivie de l’extinction progressive des lumières de la salle ; les rideaux d’écran s’ouvrent devant la toile blanche : générique !

Ainsi commencent rituellement les séances des films présentés au Festival de Cannes. Ce court instant suffit à focaliser l'attention du spectateur vers l'écran, avant même que le film ait commencé. Toutes les séances de cinéma ne commencent pas de cette manière, et l’on n’oublie pas que le cinéma est apparu d’abord comme une curiosité foraine. Mais tout cinéphile sait que les circonstances de la séance comptent dans la trace que laisse un film dans sa mémoire. Ce rituel signifie que le film ne se consomme pas comme un produit courant, qu’il ne se borne pas à occuper un temps libre, qu’il s’inscrit dans une durée et un espace qui lui sont propres et non dans la continuité du quotidien.

La prolifération de l’image dans tous les actes et à tous les instants de la vie fait passer pour anachronique l’acte de se déplacer, attendre, payer, s’immobiliser, pour un spectacle dont on peut jouir chez soi selon son bon plaisir.

Or, les cinéastes continuent à travailler pour le spectateur en salle, qu’il s’agit d’attirer, de retenir et de captiver pendant toute la durée du film, dont on craint les réactions imprévisibles et sans appel, mais dont seule la présence donne son sens à l’œuvre projetée. La rencontre en salle de projection des films et des spectateurs, la circulation des films, la formation du public au regard sur le cinéma, sont des faits constitutifs de l’activité cinématographique, aussi nécessaires que la créativité des auteurs, le savoir-faire des comédiens et des techniciens, l’audace des producteurs.

Par ailleurs, on évoque souvent la divergence supposée entre les principaux opérateurs du marché, qui n’auraient pour objectif que de préserver leur position économique dominante, et les opérateurs culturels, qui seraient les défenseurs ultimes du cinéma « de création » et de l'identité cinématographique de la France. Dans la situation de tension chronique qui est une des constantes de notre système cinématographique, tout évènement affectant l'un ou l'autre « camp » donne lieu à polémique. Lorsque les arbitrages budgétaires nourrissent la crainte d'un éventuel changement de la politique de l'État, tous ceux dont l’action est étroitement dépendante du soutien des collectivités publiques élèvent une protestation véhémente. C'est dans un tel contexte que Madame Christine Albanel, Ministre de la culture et de la communication, et Monsieur Xavier Darcos, Ministre de l'éducation nationale, ont présenté au début de l’année 2008 une communication au Conseil des ministres relative à l'éducation artistique et culturelle. À cette occasion, ils ont réaffirmé que l'éducation artistique, dont fait partie l'éducation à l'image, était un enjeu fondamental du système éducatif.

À la suite de cette communication, et estimant que l'organisation du soutien de l'État à l'action culturelle cinématographique demandait une meilleure lisibilité et une plus grande efficacité, Madame Christine Albanel, par lettre du 18 février 2008, a confié une mission de réflexion et de proposition à l'auteur du présent rapport. La mission a pour objet d’abord de dresser un état des lieux des actions conduites en faveur de la diffusion cinématographique, audiovisuelle et multimédia, ensuite de formuler des propositions de nature à améliorer la complémentarité et la cohérence des actions menées en faveur de la diffusion culturelle, de l'aménagement cinématographique du territoire, et de l'éducation à l'image.

Sur la base des auditions auxquelles il a été procédé et des documents qui ont été remis par le CNC et par les représentants des organisations entendues, le présent rapport d'étape comporte trois parties : d'abord un ensemble d'éléments d'analyse et de diagnostic de la diffusion culturelle du cinéma, ensuite une observation plus détaillée et des propositions concernant les espaces culturels pour le cinéma, enfin l'esquisse d'un bilan et des propositions relatives à l'éducation à l'image et à la culture cinématographique.


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Au préalable, l'auteur du présent rapport doit rendre compte de la tonalité particulière des nombreux entretiens qu'il a pu avoir avec des interlocuteurs professionnels, qui lui ont réservé par ailleurs le meilleur accueil. L'annonce d'une réduction en 2008 des crédits affectés à l'action culturelle cinématographique a fait éclater un malaise que les correctifs apportés en début d'année n'ont pu entièrement dissiper. Alors que les crédits consacrés globalement au cinéma étaient accrus, cet épisode a laissé l'impression que ces questions ne sont pas placées à leur juste valeur dans la hiérarchie des préoccupations des responsables de la politique cinématographique de l'État. Or, seul l'appui de l'État, suivi de celui des collectivités territoriales, est jugé capable d'assurer la pérennité des programmes d’action culturelle. Les compléments de crédits dégagés début 2008 n’ont pas affaibli la détermination des opérateurs à poursuivre leur action, et la confiance qu'ils peuvent attacher aux engagements des pouvoirs publics demeure sérieusement ébranlée.

La détermination reste parce que les acteurs de terrain estiment leur action légitimée au contact des publics et s'attachent aux demandes de leurs interlocuteurs quotidiens. En outre, ces activités, particulièrement en matière d'éducation au cinéma, sont accomplies avec des moyens financiers localement très limités, et même dans de nombreux cas grâce au recours au bénévolat. Il ne faut donc pas s'étonner de la vigueur de certaines réactions, puisqu'il ne s'agit pas ici seulement d'enjeux financiers mais aussi de la reconnaissance de l'engagement personnel des participants.

Le doute qui s'est installé n'a pas disparu à l'annonce d'une relance spectaculaire des activités d'éducation artistique alors que beaucoup de ceux qui les mettent en œuvre demeuraient dans l'incertitude quant à leurs moyens d'action immédiats. Pour que l'objectif des pouvoirs publics soit relayé par les acteurs de terrain, condition nécessaire bien que non suffisante pour le succès de cette politique, il est indispensable que des gestes significatifs soient accomplis dans leur direction afin de rétablir une relation de confiance envers la parole des représentants de l'État.

Le premier de ces gestes est le rétablissement d'un niveau de crédits suffisant pour assurer le maintien des activités engagées, quitte à procéder en temps utile à une évaluation sans concession des résultats obtenus. La réalisation d'un nouvel objectif très ambitieux ne pourra pas non plus être obtenue sans moyens supplémentaires. Cela n'est pas contradictoire avec la recherche d'une plus grande efficacité de chaque euro investi, conformément à la règle désormais en vigueur en matière de finance publique. Mais cela suppose que l'administration soit à l'écoute des suggestions des opérateurs locaux et s'engage dans une nouvelle phase de décentralisation et de déconcentration en matière de culture cinématographique.

Si un climat nouveau peut être ainsi créé, le rapporteur ne doute pas de l’engagement de tous ceux qui participent à la diffusion de la culture cinématographique. Le présent rapport s'efforce de contribuer à l'instauration de ce nouvel état d'esprit.