Rapport Auclaire intégral (source CNC)


jeudi 5 mars 2009

A.I • Culture cinématographique et commerce du film

Extrait du rapport "Par ailleurs, le cinéma est un divertissement...
propositions pour le soutien à l’action culturelle dans le domaine du cinéma"
| Alain Auclaire Novembre 2008 |

Si l’on s’en tient aux événements cinématographiques les plus notoires de l’année 2008, la situation du cinéma français semble très positive : une suite sans précédent de récompenses internationales un record historique de fréquentation pour un film français, Bienvenue chez les Ch'tis, sorti le 27 février 2008, 20.285.017 entrées (source CBO) un volume élevé de production de longs-métrages. Dans le même temps, on a rarement vu autant de controverses et d’incertitude devant l'avenir, mais aussi de réflexions sur les structures mêmes de l’économie du cinéma et sur la politique à mener par les pouvoirs publics.

Le cinéma appartient à l'industrie de la communication et du divertissement, mais il est aussi le lieu d'un travail de création artistique destiné à des spectateurs attentifs et passionnés qui en font bien plus qu'un loisir. Il s'agit bien d'un seul marché, qui obéit à des règles communes de fonctionnement, mais qui englobe une extrême diversité de contenus, de poids économiques, de critères d'appréciation des résultats. Comme on le verra ci-après à travers l'analyse des données, si la diffusion culturelle du film demeure quantitativement restreinte par rapport au marché principal, les facteurs d'intérêt et de soutien d'une partie du public ne manquent pas.

La question de la place de la culture dans le fonctionnement du système est donc naturellement au cœur des débats en cours : incertitudes sur l'avenir de la représentation des films en salles, polémiques sur les salles municipales, interrogations sur la place du cinéma dans la nouvelle politique d’éducation artistique, appels au soutien de la diversité culturelle, et bien sûr revendications et critiques sur les financements publics. Autant de thèmes qui sont aussi présents dans les réflexions menées par ailleurs sur les conditions de la production, sur la concurrence dans le domaine du cinéma, ou sur la projection numérique en salle.

La force et la persistance des critiques suscitées par les décisions de l'automne 2007 témoignent autant des interrogations des opérateurs sur des enjeux de portée générale que de leurs difficultés à supporter une baisse de leurs moyens financiers :
  • Quelle doit être la place de l'action culturelle par rapport à l'économie du cinéma ?
  • Quelle est la politique de l'État en matière d'éducation au cinéma et de diffusion de la culture cinématographique, et quels sont les moyens disponibles ?
  • Quel peut être l'engagement des collectivités locales dans le domaine du cinéma ?
  • Quels sont les effets de la répartition des responsabilités entre les différents opérateurs publics et privés ?
  • Quelle doit être la répartition des fonctions entre les services déconcentrés et les services centraux de la culture, en particulier le CNC ?

S’agissant des bases du raisonnement que l’on tentera d’appliquer au domaine de l’action culturelle, on retiendra les trois prémisses suivantes :
  • Repousser la tentation du dualisme entre une logique qui serait fondée sur les règles de l’économie de marché appliquée au cinéma, et une autre qui serait au contraire fondée sur la primauté inconditionnelle de la création et de la diffusion culturelle. En cette matière, l’économie et l’art sont indissociables selon un principe qui a sans doute permis le maintien en France d’un secteur cinématographique puissant. Il suffit de constater les échecs enregistrés par des films issus de spéculations de marketing, et qui n’ont pas fait une place suffisante à la création et aux auteurs, interprètes et techniciens du film. En sens contraire, de trop nombreux films n’atteignent pas leur public, quelle que soit leur réussite artistique, soit parce que leur forme ou leur propos demeurent trop éloignés des spectateurs même avertis, soit parce que l’économie de leur production et de leur diffusion ne leur donne pas un accès réel au marché.
  • On n’entrera pas plus dans l’opposition courante entre les entreprises dominantes du secteur, qu’elles soient ou non «intégrées», et celles qui se créent et entendent survivre sur la base de l’indépendance. Toutes les semaines, cette opposition est ranimée par les plans de sortie des films, de même qu’elle est présente en matière de production. Mais là encore, et à moins de verser dans un modèle inspiré de celui des studios hollywoodiens des années 50, le système français se caractérise par sa mixité et sa plasticité. Beaucoup des grands d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes qu’il y a dix ans, beaucoup des «petits» promis naguère à une rapide disparition sont toujours actifs. Et de nouveaux entrants apparaissent sans cesse, témoignant de la vitalité du cinéma français.
  • Enfin, on refusera tout autant l’opposition sommaire entre deux politiques du cinéma. L’une serait critiquable car attentive aux seuls intérêts financiers et commerciaux de «l’industrie». L’autre serait légitime parce que fondée sur des concepts d'intérêt public : l'action culturelle, le soutien aux créateurs, la promotion de l’accès égal à toutes les œuvres. La politique publique du cinéma a toujours veillé au maintien d'équilibres complexes : soutenir la création et l'innovation en même temps que permettre l’émergence d’entreprises structurant le secteur ; veiller à la plus large diffusion du film en même temps que tenir compte des mécanismes du marché. Et ceci passant notamment par la promotion globale du cinéma, la formation des publics, le soutien de la diversité culturelle. Ainsi doit-on considérer que la politique économique du cinéma se fonde pour une large part sur des choix de politique culturelle ; de même que le soutien à la diversité de la création et de la diffusion du film est une contribution à l’économie du secteur.