Rapport Auclaire intégral (source CNC)


mercredi 4 mars 2009

B.I • LE RESEAU DES SALLES ART & ESSAI : CLASSEMENT ET "LABELS"

Extrait du rapport "Par ailleurs, le cinéma est un divertissement...
propositions pour le soutien à l’action culturelle dans le domaine du cinéma"
| Alain Auclaire Novembre 2008 |

Proposition n°6 : Accroître l'effet d’incitation des labels intervenant dans le classement "Art & Essai”.

Les lieux de cinéma existants en France constituent l'un des réseaux les plus denses et les mieux répartis sur le territoire parmi tous les équipements à vocation de diffusion culturelle. En termes économiques, la distinction entre les différentes catégories d'exploitations selon leur degré de concentration et les conditions de la concurrence dans l'accès aux films donne lieu à des débats constants. Le récent rapport de Mme Anne Perrot et de M. Jean-Pierre Leclerc, «Cinéma et concurrence», contient un ensemble de propositions dont certaines recoupent les questions abordées par le présent rapport.

Ces propositions concernent notamment les conditions de fonctionnement spécifiques du «secteur Art & Essai». Le rapport Perrot-Leclerc souligne toutefois d'emblée que : «les instruments de la concurrence ne peuvent pas remplir les objectifs de la politique culturelle : diversité de l'offre, accès de la population à un cinéma de qualité, soutien à une production nationale ou européenne ». Trois propositions de ce rapport sont à prendre en considération :
  • Procéder à un audit des aides à la distribution et à l'exploitation et renforcer leur sélectivité.
  • Imposer aux salles municipales opérant en concurrence avec des exploitants privés de souscrire des engagements de programmation, ou la définition d'un projet cinématographique précis par des conventions ou des cahiers des charges s'imposant aux gestionnaires de l'établissement.
  • Recentrer l'octroi des subventions art et essai, en pondérant l'aide accordée aux salles en fonction du nombre de copies ou du nombre de spectateurs, ou en excluant du calcul de ces aides les films ayant dépassé un seuil d'entrées, et récompenser les efforts d'exposition des films dans la durée.

On ne reviendra pas ici sur la question des aides à la distribution et à l'exploitation, ni sur celle des salles municipales. En ce qui concerne les salles classées Art & Essai, la révision du système existant, notamment en introduisant de nouvelles pondérations liées au nombre de copies ou aux résultats de fréquentation est de nature à susciter d'intenses débats professionnels et à ranimer une controverse superflue sur le concept Art & Essai lui-même. De plus l’aide aux cinémas d’Art & Essai a fait l’objet d’une réforme récente dont toutes les conséquences restent à évaluer. On suggérera donc d'orienter les incitations aux salles dans le cadre du système actuel en utilisant les outils existants que sont les labels. Rappelons d'abord que les salles bénéficiaires du classement reçoivent une subvention de fonctionnement du CNC, qui varie selon la catégorie dans laquelle l'établissement est classé. Ces subventions ne sont pas conçues comme des subventions d'équilibre, mais sont en principe destinées à encourager les responsables des salles à développer leurs actions d'animation du public et à prendre des risques en matière de programmation qu'ils ne pourraient assumer seuls. Il est à noter toutefois que ces subventions ne suffisent pas à elles seules à couvrir une politique de programmation très audacieuse, en raison d'un montant qui demeure dans la majorité des cas très mesuré. C'est ainsi qu'en 2005, la subvention moyenne par établissement se montait à 12.000 €. Elle était inférieure à 5.000 € pour près de 300 établissements, et ne dépassait 50.000 € que pour 25 d'entre eux. Certes l'enveloppe globale consacrée par le CNC à l'aide aux salles classées a été progressivement augmentée pour atteindre près de 12 millions d'euros. Un nouvel accroissement serait sans doute de nature à encourager une politique plus active d'animation des salles, mais s'agissant d'une dépense financée par le compte de soutien au cinéma, cette évolution est tributaire des équilibres généraux du compte.

La procédure de classement des salles en catégorie Art & Essai a fait l'objet d'une réforme importante en 2002. Les décisions de classement sont prises par le CNC, après avis d'une Commission nationale, elle-même précédée d'un examen des dossiers en région par des groupes d'experts professionnels siégeant auprès des DRAC. Les critères actuellement retenus peuvent être regroupés sous trois rubriques : diversité de la programmation, recherche des publics, qualité de l'animation locale.

Il semble en fait que la nouvelle procédure soit largement admise et que seul le mécanisme de la recommandation des films, déterminant pour le classement des salles, fasse encore l'objet de débats. En effet, si le terme de « film Art & Essai » est largement utilisé par les professionnels et le public, le sens de la recommandation et le processus de la décision demeurent à la fois méconnus et critiqués.

Les décisions de recommandation sont juridiquement signifiées par une décision du CNC, mais elles résultent du vote des membres d'un collège de 100 personnes, choisies d'un commun accord entre le CNC et l'AFCAE parmi des professionnels du cinéma et des personnalités connues pour leur engagement culturel. Selon une convention conclue avec le CNC, le fonctionnement du collège de recommandation est assuré par l'AFCAE (Association française des cinémas d'art et d'essai). Chaque membre du collège est saisi deux fois par mois de la liste des films sortis et doit formuler un avis personnel sur les films qu'il a effectivement visionnés, en tenant compte des critères énoncés dans les textes réglementaires. De la sorte la décision de recommandation intervient la plupart du temps bien après la décision du programmateur.

Plus de 60 % des films sortant chaque année sont recommandés, et cela comprend quelques films bénéficiant de sorties commerciales importantes. C'est pourquoi le système de la recommandation est parfois dénoncé comme laxiste, voire complaisant pour des films trop commerciaux. On se demande néanmoins en quoi une plus grande sélectivité de la recommandation suffirait à procurer une meilleure exposition aux films considérés comme trop faiblement programmés. Le nombre de salles classées serait réduit, ce qui ne manquerait pas d'être suivi d'une économie sur l'enveloppe de subventions dont celles-ci bénéficient sur le compte de soutien. Paradoxalement, une mesure visant à accroître la place faite à une culture cinématographique exigeante pourrait en fin de compte produire l'effet contraire et raréfier les écrans disponibles pour les films les plus difficiles. Il faut au contraire encourager l'existence de lieux ouverts, même de manière partielle, à cette catégorie de films.

Au demeurant, certaines études, notamment celles réalisées dans le cadre de l'ADRC, incitent à penser qu'une exploitation diversifiée est capable d'attirer un public significatif vers des films peu soutenus dans la grande exploitation. Elles montrent en effet que dans les salles classées Art & Essai, des films recommandés, choisis parmi ceux qui ont bénéficié d'une diffusion assez large, obtiennent des résultats parfois supérieurs à ceux enregistrés dans l'exploitation dite «généraliste» et dans les multiplexes. On ne proposera donc pas ici de remettre en question le régime de la recommandation pas plus que celui du classement Art & Essai. Si de nouvelles évolutions s'avéraient nécessaires, ce serait pour tenir compte de l'évaluation des résultats du système actuel, ainsi que des transformations à venir dans le fonctionnement technique et économique des salles de cinéma.

Il faut en revanche tenir compte de la complexité que ce système a atteint pour mieux identifier les points sur lesquels il mériterait d'être renforcé. Le parc Art & Essai n'est en effet nullement homogène. En particulier le classement tient compte de la situation géographique des salles. On ne peut en effet exiger d'une salle établie dans une petite ville en zone rurale le même niveau de programmation qu'une salle dans une grande ville universitaire. La salle de petite ville ne doit pas pour autant se voir écartée du classement, alors qu'elle est souvent le seul équipement culturel de la zone. Elle doit être au contraire soutenue pour son activité d'animation, même si sa programmation fait place à quelques titres annoncés comme des succès commerciaux nécessaires à son équilibre d'exploitation. Quant aux salles des grandes villes, c'est en revanche le niveau d'exigence de la programmation qui doit être observé en priorité.

C’est pourquoi plusieurs dispositifs ont été introduits pour inciter les salles classées ou candidates à diversifier leur programmation et à développer leur politique d'animation. Ainsi la «clause de diversité» a pour objet de valoriser la situation des salles dont la programmation dépasse certains seuils de films recommandés, en fonction de leur situation géographique, et d'écarter celles qui restent en deçà de ces seuils. Dans le même esprit ont été créés trois labels, «Recherche et découverte», «Jeune Public», «Patrimoine et Répertoire», qui entraînent une amélioration du classement pour ceux qui les obtiennent. La clause de diversité ayant été récemment «durcie», il convient d'en attendre les résultats avant d'y revenir éventuellement. En ce qui concerne les labels, on observe qu'en 2005, 326 établissements portaient au moins un des trois labels (soit 31 % des cinémas classés), dont 276 le label «Jeune public» et 117 le label «Recherche et découverte». Seulement 57 établissements (soit 157 écrans et 5,4 % du parc classé) étaient titulaires des trois labels simultanément. Dans le cadre d'une politique volontariste d'extension de la diffusion culturelle et de l'éducation au cinéma, ces chiffres peuvent être considérés comme faibles.

Il semble très délicat de modifier le seuil de films prévus pour l'obtention du label «Jeune public» (15 titres), dès lors que l'on se limite aux films expressément destinés aux enfants, en nombre trop faible sur le marché. Pour le label «Patrimoine et répertoire», les films accessibles sont définis selon des critères objectifs, ce qui laisse une marge de manœuvre plus étendue aux programmateurs désireux de présenter des films anciens. En revanche, pour ce qui est du label «Recherche et découverte», le seuil (de 20 à 25 titres) parait trop restrictif, non pas dans l'absolu mais au vu de la liste des films inscrits dans cette catégorie par la commission qui en est chargée.

Afin de renforcer l'incitation à la recherche de l'obtention des labels, il semble que deux voies complémentaires soient possibles : accroître la part faite aux labels dans le calcul du coefficient de majoration pris en compte pour le classement et le calcul de la subvention finale ; accroître le nombre de films y donnant accès. Dans le premier cas, cela suppose de rechercher un consensus au sein de la Commission de classement puisque le coefficient a un caractère sélectif et non automatique. Cela suppose sans doute aussi d’augmenter à la marge la dotation globale affectée au programme par le CNC. Dans le second cas, il conviendrait que les collèges qui sont chargés des deux catégories «Recherche et découverte» et «Jeune public», soient sensibilisés à cet objectif et élargissent quelque peu leur sélection. À titre indicatif, sur les quelques 300 films recommandés en 2007, seulement 59 ouvraient sur le label «Recherche et Découverte», soit moins de 20 %. Au vu des titres qui n'y figurent pas, il ne serait pas «laxiste» de porter ce chiffre à environ 30 %, ce qui ouvrirait de nouvelles possibilités aux salles sans détériorer la qualité de leur programmation. La même remarque peut aussi être faite à propos des films «Jeune public», parmi lesquels pourraient figurer des films qui ne sont pas destinés expressément aux enfants, mais méritent de leur être proposés comme le montrent les listes de films établies par les commissions compétentes des dispositifs d'éducation au cinéma.